Le métier de VC consiste à investir dans approximativement 0,25% des dossiers rencontrés par l’équipe.
En effet, on peut considérer qu’un fonds de Capital-Risque :
• Reçoit et source environ 2K dossiers par an
• Rencontre dès lors 400 à 500 entrepreneurs
• Investit la plupart du temps dans 4 à 5 dossiers par an
Il y a donc environ 399 chances sur 400 (i.e 0,25%) qu’un investisseur soit amené d’une façon plus ou moins respectueuse (ou cavalière) à vous dire NON.
Ces variables peuvent évoluer d’un fonds à l’autre en fonction de :
- la notoriété (curieux de connaitre le # de dossiers reçus chez A16Z)
- la géographie (il y a naturellement moins d’entrepreneurs en Estonie pour des raisons démographiques : 1,3M d’estoniens et pourtant de beaux succès à l’image de Skype, TransferWise ou encore PipeDrive)
- la thèse d’investissement (nos confrères de Kima doivent s’étouffer en lisant ces premières lignes)
- la verticalisation (pas certain que BlackFin par exemple dispose de ces statistiques sur le seul univers des Fintech, pourtant en forte expansion).
Pour être tout à fait transparent, j’ai eu beaucoup de mal à me positionner sur le sujet. Ce n’est jamais agréable de préciser à un entrepreneur que son projet n’intéresse pas votre fonds. Indirectement, vous sous-entendez qu’un investissement dans la dite société ne sera pas ROI-ste pour le fonds (comprendre < 5X la mise dans la majorité des cas).
C’est d’abord très prétentieux et particulièrement désagréable.
Pourtant, cela fait partie du métier d’investisseur.
2 questions se posent :
– QUAND dire non ?
– COMMENT dire non ?
Cette première question n’est pas si triviale car nul n’est sans savoir qu’une levée de fonds peut-être chronophage et exténuante.
1/ Quand dire non?
Voici les différents schémas qui peuvent se présenter
Option 1 : Dire non tout de suite
- Avantage entrepreneur: ne pas perdre de temps, « nettoyer son pipe »
- Inconvénient entrepreneur : l’approche très laconique peut sembler brutale et abrupte. Le VC se forge en effet une conviction sur un simple appel téléphonique / sur la lecture d’un deck
- Avantage VC : gagner du temps, être mieux organisé et automatiser la clôture de dossiers
- Inconvénient VC : ne pas creuser des éléments plus détaillés, ne pas se laisser le temps d’échanger en interne avec une personne plus expérimentée sur le domaine en question, etc.
Option 2 : Dire non dans un second temps
- Avantage entrepreneur : avoir produit une documentation (souvent lourde) qui a été lue, analysée et travaillée. Un NON peut également ouvrir des portes sur de nouvelles introductions qualifiées ou des feedbacks intéressants
- Inconvénient entrepreneur : faire perdre du temps à l’entrepreneur (laisser miroiter ce dernier)
- Avantage VC : parler du deal en équipe (sujet de prédilection d’un autre interlocuteur), creuser des éléments et faire des due diligence pour se forger une forte conviction
- Inconvénient : se retrouver avec un grand nombre de « deals sur le feu » et devoir choisir ou clôturer des dossiers par manque de temps, se forger une mauvaise réputation en laissant « trainer des opportunités »
Option 3 : Ne jamais dire non
- Avantage entrepreneur : Nul
- Inconvénient entrepreneur : passer 6 mois de plus à lever des fonds i.e décaler son BP d’au moins 6 moins VS se concentrer sur le business et l’exécution
- Avantage VC : Nul
- Inconvénient VC : se forger une mauvaise réputation or l’image de marque dans notre métier fait parti de notre fonds de commerce.
Vous l’aurez compris, le 3e scenario ne présente aucun intérêt, le ROI est tout bonnement nul pour les 2 parties. Pourtant, c’est un schéma encore prisé qui manifeste la plupart du temps une forme de procrastination de la part de l’investisseur. Peu à peu, cette paresse intellectuelle se transforme en oubli « non intentionné », la conscience étant alors rassurée, l’entrepreneur délaissé.
Selon moi, le cas numéro 1 présente le plus d’intérêt pour les parties prenantes.
En voici la raison :
Depuis que j’évolue en Capital-Risque, j’ai eu la chance de découvrir l’envers du décor de la levée de fonds à savoir : la levée de fonds. Cet exercice schizophrénique demande régulièrement aux investisseurs de se mettre dans la peau d’un entrepreneur le temps d’un roadshow. Les acteurs changent, les modalités restent eux invariables : pitch, suivi d’un pipe, analyse d’un funnel, production de contenu, négociation, closing, etc.
Dès lors j’ai expérimenté la frustration de ne pas avoir de réponses, de mal qualifier mon pipe ou encore d’avoir le sentiment de « perdre mon temps ».
Savoir dire non quand il y a 9 chances sur 10 que l’on ne ré-ouvre pas le dossier est un respect intellectuel à avoir. L’entrepreneur lui, sera heureux de n’avoir perdu que « 45 minutes » avec vous et appréciera l’honnêteté et l’efficacité. Du côté de l’investisseur, la charge mentale (si tant est que l’on puisse utiliser cette expression dans ce contexte) est diminuée pour ne pas dire annihilée : plus de deals à clôturer. Une vision claire et épurée du dealflow s’offre ainsi.
2/ Comment dire non désormais ?
Selon moi, un « NON » doit au moins être justifié à l’écrit (et potentiellement à l’oral s’il y a eu une rencontre avec l’entrepreneur). La majorité des VCs utilisent (un peu trop parfois) les 2 raisons suivantes :
- Le projet est très intéressant, ambitieux et différenciant mais trop loin de notre thèse d’investissement
- J’ai beaucoup apprécié nos échanges & la nature de votre activité mais la maturité n’est pas encore au rendez-vous
Dans les 2 cas, soit vous avez mal cerné la thèse d’investissement du VC en question (comprendre le scope d’investissement et la maturité des deals) soit vous avez une réponse toute faite et passe-partout car le marché n’est pas assez gros, l’équipe n’a pas convaincu, la traction n’est pas suffisante, etc.
Dans un monde idéal, le meilleur « non » aurait pour moi la forme suivante :
- Présentation des caractéristiques positives du deal tant sur le fond que sur la forme
- Définition des raisons qui poussent à ne pas aller plus loin
- Donner au moins un conseil sur la présentation ou suggérer des VCs plus spécialisés sur la thématique en question
Avec une telle recette, il est plus simple d’exprimer un refus, l’image de marque n’est pas détériorée voire valorisée et les deux parties gagnent en efficacité.
Voici donc ma lumière sur le sujet, n’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
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